
Les villes du Mzab, méritent à juste titre d’être qualifiées de perles du désert. Dans un milieu désertique se sont développées tout au long d’une histoire millénaire, de merveilleuses cités-oasis, qui eurent la reconnaissance universelle de patrimoine mondial, aussi bien pour leur riche patrimoine architectural et urbanistique que social et culturel.
À 600 Km au sud d’Alger, le cours de l’oued Mzab, qui faufile à l’intérieur d’une vallée rocailleuse, la fameuse Chebka du Mzab, ordonne le rythme des cités millénaires du Mzab.

Nature et culture
L’urbanisation des espaces sahariens relève du paradoxe. Ce sont des milieux naturellement fragiles et hostiles, qui doivent leur humanisation et leur urbanisation, essentiellement à des populations recherchant paix et sécurité, dans les conditions d’hostilité et d’aridité, à l’abri des regards que provoquent généralement les conditions de faste. Pour cela l’homme était appelé à relever les défis d’une nature hostile et à mobiliser toute les ressources, pour réussir l’aménagement des oasis, la mise en place d’une infrastructure hydraulique et d’un système de gestion des eaux rares, auxquels était suspendue la vie. L’homme réussit grâce à son génie et sa foi, à assurer un équilibre nature-culture et à vivre en harmonie avec son milieu aussi hostile qu’il soit.
Les villes du Mzab s’inscrivent parfaitement dans cette logique. Leur fondation au début du XIe siècle résulte en effet d’un acte volontaire d’implantation humaine, suite à l’afflux des populations ibadites, venues rechercher dans un milieu hostile et aride, paix et sécurité. Mais il fallait réussir le pari de rendre vivable un tel milieu, grâce à des options d’aménagement et de gestion d’espaces, de société et des eaux.
L’eau pour sa part, et dans un milieu aride, constitue la principale condition à laquelle se trouve suspendue la vie. L’eau s’impose vite comme l’élément structurant majeur qui intervient dans les modes d’implantation et d’organisation de l’espace.
Sur la crête du plateau et en bordure du cours d’eau principal de l’oued Mzab, la première cité vit le jour. Successivement venaient s’ajouter les autres cités. Et, chacune prit place en bordure de ce cours d’eau, souvent au croisement de celui-ci et d’un cours d’eau secondaire.
Au rythme du cours d’eau principal, la vallée du Mzab s’urbanisait. C’est le long de son cours sinueux, et entre l’amont et l’aval que sont distribuées les cinq cités du Mzab. Ainsi, furent édifiées des villes fortifiées, sur des collines d’accès difficiles, dominant la vallée depuis les pitons rocheux et s’étalant tout le long de son axe, à intervalle moyenne de deux kilomètres entre l’une et l’autre à l’exception d’El Atteuf, qui se trouve à six kilomètres de sa voisine Bounoura.
Chaque cité dispose de son propre territoire, englobant à la fois la cité imposante, bâtie sur les pitons rocheux, et sa palmeraie-oasis, qui s’étale comme un tapis vert sur la vallée sablonneuse, parsemée de demeures d’été. Le couple nature et culture est indissociable et ne forme qu’une seule unité spatiale. Si la cité offre abri et sécurité, l’oasis offre fraîcheur et détente pour apaiser les saisons de chaleur.
Ce sont les célèbres cités jardins fondées successivement, El Atteuf “Tajininte” en 1012, Bounoura « At Bounour » en 1046, Ghardaïa « Taghardaite » en 1053, Melika « Atamlichete » en 1124, Benisguen « At Isjen » en 1347. Plus-tard suivirent deux autres villes plus éloignées de la vallée successivement, Guerrara “Lagrara” en 1630, à soixante dix kilomètres au nord-est, et Berriane « Bariyane » en 1679, à quarante kilomètres au nord.
La ville, l’art et l’architecture
C’est autour de la mosquée, premier édifice et pôle principal de la cité, implanté au sommet du monticule, que viennent s’installer les habitations, en anneaux étagés. C’est une croissance de forme polaire, rendue possible grâce à un tracé radio concentrique. Les voies circulaires qui empruntent les courbes de niveaux et les rebords du plateau, découpent des emprises foncières au croisement des voies radiales qui descendent vers le bas.
La croissance est dirigée du haut vers le bas, au rythme des voies radiales, qui percent au fur et à mesure de nouvelles emprises. La dernière ceinture des maisons constitue le front rempart de la cité, percé et ponctué à certains endroits de portes d’accès et de tours de guet (Bordj). Le « souk », place du marché, est le centre commercial et de rencontre par excellence. Il est continuellement déplacé vers la périphérie, au fur et à mesure de la croissance de la cité.
L’architecture mozabite est soumise à de véritables règles, régie par des lois et des normes. Elle est là pour transmettre une image fidèle de l’ordre social, culturel et naturel. Les volumes, les hauteurs sont définies minutieusement, afin d’assurer sécurité, confort et préserver au foyer son intimité. Les matériaux sont extraits du sol même (roche calcaire). Les matériaux (pierre, sable, mortier de chaux, plâtre timchent, bois de palmier.) s’adaptent harmonieusement à l’environnement d’où sont extraits et offrent le confort thermique recherché. Ils sont utilisés de manière à permettre des températures ambiantes à l’intérieur des maisons (murs épais en pierre, enduits au mortier de chaux, etc.). Les ouvertures sont réduites au maximum pour éviter la chaleur brûlante du soleil, elles permettent tout juste un minimum d’éclairage. Quant à l’essentiel d’éclairage et d’aération, il est assuré par un grand trou aménagé au plafond de la pièce centrale.
Sur le plan urbanistique, le soleil et l’intimité sont des droits inaliénables, et il est aussi interdit d’élever son mur au point de porter ombrage au voisin, et il est inadmissible de violer son intimité.
Ville et territoire
Afin d’assurer le contrôle et la structuration du territoire, trois repères majeurs et symboliques viennent le ponctuer, “tirest” (puits) garant de la vie, “bordj” (tour) garant de la paix, “m’çalla” (aire de prière et de réunion), garant de la foi.
Gestion urbaine
Toutefois la fondation des cités fut précédée par la fondation d’un dispositif institutionnel, auquel furent subordonnés le fonctionnement, l’organisation et la prospérité de la société, de la culture et de l’espace.
L’acte de fondation intervenait sous le contrôle d’institutions sociopolitiques, en l’occurrence «la halga des azzaba» appelée à assurer l’ordre morale de la cité et de la société, secondée par «la djemaa» représentative de la société, appelée à assurer la gouvernance et la gestion de la cité.
La réglementation urbaine en vigueur contenait un dispositif de lois et de règlements relatifs aux modalités d’occupation du sol et de l’organisation de l’espace, puisant ses références dans les codes fonciers propres à la juridiction musulmane, notamment le fameux code intitulé «taksim al aradine» du Cheikh Aboul-Abbas-Abbas Ahmed, qui fut longtemps l’ouvrage référentiel de base en matière de législation foncière et urbaine.
D’autres institutions viennent s’ajouter pour intervenir dans l’encadrement, le contrôle et la gestion de l’action d’urbanisation, tel que le conseil de « Al-oumana », chargé d’assurer le suivi technique et le contrôle de l’urbanisme.
Conclusion
Il fallait attendre la découverte du pétrole et des techniques modernes d’hydraulique, pour voir s’annoncer une croissance sans précédent. De nouveaux horizons s’ouvraient alors pour engager le Sahara en général et le Mzab en particulier dans une dynamique de développement urbain, rapide et intense.
Si le manque d’eau est la motivation essentielle qui justifie le choix du site pour les fondateurs des villes du Mzab, que dire maintenant que l’eau y est abondante, l’industrie s’y installe et ne cesse de se développer, la machine, la voiture et le numérique imposent leur ordre, si ce n’est la fin d’une histoire millénaire et le début d’une ère nouvelle.
Entre la rareté de l’eau et son abondance, c’est toute une histoire millénaire qui se dessine.
Et, pour finir ce voyage, quoi de mieux que d’apprécier quelques merveilleux sons du Mzab:
Adel dans Ayanouji youchou rabi;
Itran dans Ayoua N’lghourbet;
Amira Debbache dans Agellid a Memmi;
Mohamed Daoudi dans Anachid mozabites;
Taghayate An waghlane avec les troupes de Bounoura et d’El’Atteuf.

Professeur et expert consultant en urbanisme et en sciences sociales, l’auteur Brahim Benyoucef détient un doctorat en urbanisme et aménagement (Université de la Sorbonne Paris IV), et il est diplômé en sciences sociales et civilisations orientales (Université de la Sorbonne Nouvelle Paris III). Il possède à son actif plus de 30 ans d’expérience dans les domaines de l’enseignement universitaire, recherche scientifique et expertise internationale.