
Introduction
La question des minorités religieuses revient sur scène avec de nombreuses situations des plus critiques dans le monde actuellement. Dans ce contexte les minorités musulmanes en Inde, en Chine et en Birmanie font l’objet d’une violence inouïe, qui sous-tend une répression à caractère génocidaire par endroit.
Le rebondissement ces dernières années de conflits ethniques, accompagnés de répression contre les minorités musulmanes dans certains pays d’Asie est alarmant à plus d’un niveau. La répression contre les Rohingyas (musulmans de Birmanie) surtout en 2016-2018, et contre le peuple Ouïghour en Chine, surtout en 2018-2019, et contre la minorité musulmane en Inde, surtout en 2019 indiquent un retour assez fort des processus répressifs et à la limite génocidaires, ces derniers temps.
Des alertes[1] émises depuis 2018 indiquent la présence dans la région du Xinjiang à l’extrême ouest de la Chine, de centres d’internement où sont concentrées des populations turcophones musulmanes Ouïghours, ainsi que des Kazakh et des Ouzbeks.
Les émeutes éclatées en Inde dans l’État indien de l’Uttar Pradesh, au mois de novembre 2018, et ayant pour cible la communauté musulmane, témoignent d’une extrême violence qui menace le bien vivre-ensemble dans ce grand pays, où les musulmans constituent une minorité. Les massacres à tendance génocidaire que subissent les musulmans de Birmanie (Myanmar), les meurtres, les villages incendiés, les viols perpétrés, etc., intensifiés en 2017, causant la fuite de 723 000 réfugiés rien qu’entre 2017 et 2018[2], donnent une alerte sur la gravité de la situation.
La question des minorités
La question des droits de l’homme et l’enjeu des minorités faisait depuis longtemps l’objet d’une préoccupation du droit. Le concept né entre les deux guerres en rapport étroit avec la naissance des États nations et la configuration de la géographie culturelle et politique des nations. Par définition, le concept de minorités[3] couvre dans son acceptation actuelle : une minorité numérique inférieure à 50 %, de même nationalité de l’État concerné, minoritaire de situation (n’est pas en position dominante) et affichant une volonté de survie et du maintien de son particularisme. Toutefois, les communautés immigrées se font de plus en plus admettre dans la logique des minorités, avec les nouvelles études, au détriment des études liées aux minorités ethniques ou nationales. On y reconnaît plusieurs types, dont : religieux linguistiques, ethniques, etc.
le texte référentiel en droit international qui concerne la protection des minorités est issu de la Déclaration universelle des droits de l’Homme, adoptée par les Nations-Unies en 1948. Et, il s’agit encore plus précisément en la matière de l’article 27 du « Pacte international relatif aux droits civils et politiques » adopté en 1961 et complété en 1992.
Les minorités musulmanes d’Asie
L’histoire des musulmans d’Asie remonte aux premiers pas de l’expansion de l’islam en terre asiatique au VIIe siècle ; phase suivie de la fondation de dynasties musulmanes locales, très prospères entre le Xe et XVe siècles (la dynastie des Perses-Samanides IXe-Xe siècles, établie sur le Khorassan et la Transoxiane ; la dynastie des Turcs-Ghaznévides Xe-XIIe, établie sur le Khorassan, Ghaznî et le Panjab ; l’empire des Turcs-Seldjoukides, le Sultanat de Delhi au nord de l’Inde de 1210 à 1526, et l’empire Moghol établi en Inde de 1526 à 1858, etc.), qui allaient occuper des portions de ces territoires asiatiques et enraciner l’islam à jamais dans le vaste plateau du centre de l’Asie et dans les vallées du sud-est. Les routes de la soie et des épices furent pour leur part des réseaux favorables à la circulation de commerçants, de savants, d’artistes et de missionnaires, qui ont tous contribué au drainage de la culture de l’islam, de sa pensée, de ses arts et de sa foi.
La minorité musulmane de l’Inde constitue 14 % de la population, soit 170 millions dans un pays de 1,3 milliard d’habitants. Elle est concentrée en dehors de Jammu and Kashmir (où ils sont majoritaires à 68,31 %), pour la plupart dans les États de l’Uttar Pradesh (38,5 millions, 19 %), du Bengale occidental (24,6 millions, 27 %), du Bihar (17,6 millions, 16,9 %) et du Maharashtra (13 millions, 11,5 %) (d’après Census 2011).
Les Ouïghours en Chine, sont une minorité musulmane turcophone habitant la province de Xinjiang, au nord-ouest de la Chine, autrefois appelée par les géographes occidentaux « Turkestan oriental ». Les Ouïghours comptaient en 2010 seulement 45 % des 22 millions d’habitants de la région (contre 75 % en 1949)[4].
Les Rohingyas, sont la minorité musulmane de Birmanie. Ils habitent principalement la province d’Arakan, située sur une portion au sud-ouest en bordure du Golfe du Bengale. Ils sont venus pour la plupart de l’Inde et du Bangladesh, et ils comptaient un demi-million d’habitants à peu près vers les années 1920. Ils étaient un million vers 2017[5], mais leur nombre ne cesse de baisser, étant menacés de massacres génocidaires, ils fuient vers les pays limitrophes.
Genèse des conflits ?
Les problématiques ethniques et confessionnelles, allaient remonter en surface dès la moitié du XXe siècle avec les nouvelles partitions et le remodelage des territoires, dans un contexte d’après-guerre et de décolonisation d’une partie de l’Asie et surtout de l’Inde.
Le problème des minorités musulmanes d’Asie, allait surtout s’accentuer ces dernières années, et surtout depuis les années 1990 en Chine, 2000 en Inde et 2011 en Birmanie, avec la montée des nationalismes en Chine, en Inde et en Birmanie, sous l’impulsion de l’ascension au pouvoir de partis et de leaders nationalistes, et en accompagnement à des économies émergentes, à ambitions expansionnistes.
En Inde, ceci vient s’ajouter aux tensions déjà présentes autour du conflit du Cachemire à majorité musulmane, qui suscite des tensions entre l’Inde et ses voisins le Pakistan et la Chine. Le problème remonte à la partition du grand empire de l’Inde à l’indépendance en 1947, qui a été divisé au rythme de la religion, distinguant un territoire musulman au Pakistan, sur l’ancien Penjab (avec son volet oriental au sud-est, sur l’ancien Bengal, désigné au début Pakistan oriental, et plus tard Bangladesh), réservant le reste aux hindous, et laissant un territoire en litige au Cachemire à majorité musulmane et à souveraineté indienne[6].
L’Inde, la plus grande démocratie au monde (avec ses 900 millions d’inscrits au vote), et la deuxième démographie au monde (avec ses 1,3 milliards d’habitants), fonce dans les ténèbres d’une logique nationaliste peu favorable à la diversité et à l’ouverture aux autres. Cette violence est orchestrée par les brigades hindoues, enflammées par le discours nationaliste du premier ministre Narendra Modi et de son Parti du peuple indien, le Bharatiya Janata Party (BJP). En effet, Narendra depuis son élection en 2014 et le triomphe de son parti, a réussi l’installation durant ces cinq dernières années d’un nationalisme hindou qui prône la suprématie hindoue, et vient menacer le bien vivre-ensemble et inquiète les communautés musulmanes et chrétiennes. Même si la violence contre les musulmans connait déjà des précédents graves, notamment en 2002 avec un millier de morts, lorsque le même Narendra était ministre en chef de l’État du Gujarat (2001-2014), sa réélection sous-tend la montée de beaucoup de violence. La réélection de Narendra Modi et de son parti dans les nouvelles élections qui ont eu lieu du 11 avril au 19 mai 2019, emportant 303 sièges sur 543, renforce la montée du nationalisme qui ne cesse de gagner du terrain.
La nouvelle loi sur la citoyenneté du parti nationaliste hindou, votée le 11 décembre 2019, vient de nouveau enflammer la rue. La nouvelle loi facilite l’accès des réfugiés à la citoyenneté indienne, sauf les réfugiés musulmans. Elle est jugée discriminatoire à l’endroit des réfugiés musulmans, leur interdisant l’accès à la citoyenneté indienne. La Loi soulève une vague de colère et de manifestations qui ont déjà causé depuis son vote plusieurs décès. Le retour aux racines indiennes à travers l’idéologie de l’hindutva (qui prône la suprématie hindoue), décrit la tendance d’un discours nationaliste menaçant[7]. Cette tendance laisse libre cours à la prolifération de groupuscules nationalistes dont : l’organisation de jeunesse nationaliste RSS (Rashtriya Swayamsevak Sangh), les protecteurs de la vache et des milices nationalistes, etc.[8]
En Chine, les Ouïghours, minorité musulmane turcophone habitant la province de Xinjiang, au nord-ouest de la Chine, autrefois appelée par les géographes occidentaux « Turkestan oriental », fait l’objet depuis des années de répression, allant à la limite d’un ethnocide. Cette province qui fut autrefois autonome et ayant déjà connu l’émergence de l’État islamique du Turkestan en 1934 sur ses terres, a été annexée à la Chine par Mao en 1949, qui a essayé de réaliser son immersion dans l’âme de la Chine communiste à l’aide de la révolution culturelle.
Dès le début des années 90, avec la vague de démocratisation des pays de la région, et le mouvement autonomiste qui animait des pays autrefois fédérés surtout sous la coupe de l’URSS, émerge au sud de la province, chez les Ouïghours un début de nationalisme en milieu intellectuel et dans les campus. En 1990 eut lieu une insurrection à Barin. À Urumqi et dans d’autres oasis éclatèrent des manifestations en 1985, 1988 et 1989 menées par des étudiants en liaison avec les religieux, pour contester la colonisation démographique pratiquée par le pouvoir chinois, et pour protester contre la discrimination et les inégalités. La Chine craignant les effets du mouvement d’indépendance des peuples turcophones cousins des Ouïghours, et mal prise avec le soulèvement du Tibet, et le mouvement de Tiananmen en 1989, décida, avec le retour des conservateurs au Parti Communiste Chinois, de reprendre le contrôle de tout, et de tenir les Ouïghours sous pression. La diaspora ouïghoure en Asie, en Turquie et en Occident s’organise pour appuyer une lutte en faveur des droits de l’homme, dans une démarche non violente. La diaspora donna naissance au congrès mondial des Ouïghours à Washington. À Xinjiang devenu théâtre de tensions et de répression violente, les Ouïghours, cible d’une guerre visant leur identité et leur religion, organisaient des manifestations massives, à Khotan en 1995 et à Yining en 1997. À partir de 1996 le pouvoir chinois adopta des mesures répressives contre la religion, les leaders et porteurs de l’enseignement religieux. Amnesty International estime qu’au moins 190 exécutions ont eu lieu entre janvier 1997 et avril 1999[9]. Dans sa stratégie de renversement de la tendance démographique, le pouvoir chinois procédait aussi par l’encouragement du peuplement de la province par les Hans. Au début des années 2010, les Hans représentaient 40 % des 22 millions d’habitants de la région (contre 6 % en 1949), et les Ouïghours plus que 45 % (contre 75 % en 1949)[10].
La Chine profita du contexte des évènements de septembre 2001, pour semer l’amalgame entre terrorisme, séparatisme et extrémisme religieux, et pour mener sa bataille contre même le mouvement non violent autonomiste. La population ouïghoure subit une vague de répression après les émeutes de 2009 contre les Hans perçus comme colonisateurs. La répression continue par l’homogénéisation culturelle, le remplacement de la langue ouïghoure par le mandarin, la répression de l’enseignement religieux, et le monopole de l’administration par les Hans.[11]
La Chine applique avec la minorité musulmane des Ouïghours le procédé de transformation par l’éducation, et vise à anéantir le moindre soupçon de menace au régime et vise la neutralisation des effets idéologiques et de l’esprit potentiellement contestataire. Ils seraient plus de 10 % soit un million de Ouïghours à avoir subi l’épreuve d’internement, d’après les estimations de Zenz[12]
En 2017, la Chine décide de renforcer la répression avec de nouvelles méthodes et limitation de libertés : interdiction de porter une barbe, un hijab, de manger halal, de faire la prière, et obligation de boire de l’alcool, de manger du porc, intensification de la présence policière, surveillance intense, interdiction de passeport, observation et signalement des comportements inhabituels : prière, barbe, hijab, non-consommation d’alcool, jeûne du ramadan, choix des noms de personnes, visite de pays à risque, contact avec des étrangers, interdiction de WhatsApp. etc. Dénonciations, arrestations et disparitions d’intellectuels et d’universitaires et des sportifs de renom sont au menu quotidien.
En Birmanie, la violence contre les musulmans de la province d’Arakan, remonte déjà aux années 30, avec les vagues d’attaques qu’ils subirent, soldées de centaines de morts, de milliers de blessés et de centaines de mosquées détruites. La violence contre les musulmans allait se poursuivre après la deuxième guerre mondiale, avec le départ des troupes britanniques et l’accession du pays à son indépendance en 1948.
Le contrôle répressif que le gouvernement birman exerçait sur les musulmans et les attaques que les bouddhistes menaient contre les personnes et les mosquées, surtout dans la province d’Arakan, allait pousser nombreux musulmans à fuir vers les pays limitrophes. Des épisodes de violences rebondissent en 2001, et allaient prendre une autre tournure dès 2011, avec le changement de régime en Birmanie, et la montée d’un nationalisme bouddhique d’une extrême violence, décidé d’appliquer un nettoyage ethnique contre les musulmans. Avec le revirement du système en Birmanie (Myanmar) en 2011, d’une dictature autocratique militaire à une transition démocratique, émerge un nationalisme bouddhique. Majoritaires, les Bouddhistes sont décidés d’écraser ce qu’ils se représentent comme danger, soit les musulmans[13], en usant du boycott de tous les commerces musulmans et d’actions d’une extrême violence. Cet extrémisme agressif et violent déboucha aussi dès 2014 sur la formation de l’association Ma Ba Tha, porteuse de ce nationalisme. Devant l’ampleur des violences, soutenues par l’armée et la police rangées du côté des extrémistes bouddhistes, les Rohingyas (appellation des musulmans de Birmanie), s’organisent en milices pour riposter, sous l’égide de l’Armée du salut des Rohingyas de l’Arakan (ARSA), et se lancèrent dans des attaques contre des postes frontaliers et postes de police. En 2017, la violence allait encore augmenter de force et causer la fuite de dizaines de milliers de Rohingyas, évalués à 723 000 réfugiés, rien qu’entre 2017 et 2018, selon un rapport du Haut-Commissariat des Nations unies aux réfugiés.
Formes de répression
La répression se résume aux massacres de personnes, incendie des mosquées et à l’exclusion et à la négation de droit en Inde. En Chine, la répression se résume à une répression directe, à l’internement, à l’endoctrinement, à la déculturation et à la dilution démographique, comme formes à visées ethnocidaires. En Birmanie, elle prend forme dans actes à visées génocidaires : massacres en masse, nettoyage ethnique, exécutions sommaires, viols perpétrés, incendies de terres, mosquées, maisons et villages.
Enjeux ?
Ce qui a toujours motivé les guerres et les conflits fut l’occupation et le contrôle des territoires en considération aux intérêts stratégiques qu’ils revêtent. Ces derniers temps, sous la pression de la compétition des économies mondiales, les visées expansionnistes et les ambitions hégémoniques des puissances, la course vers le contrôle des réservoirs et parcours énergétiques, expliquent une grande partie des guerres et conflits politiques.
Les pouvoirs en Chine, en Inde et en Birmanie se servent ces dernières années de la montée récente des nationalismes, comme moyen pour une reconfiguration ethnique à visées politiques, en vue du contrôle des réservoirs énergétiques et des territoires à portée stratégique.
Avec le projet expansionniste chinois, connu sous le projet des nouvelles routes de la soie[14], la Chine est plus que jamais décidée d’asseoir son plein contrôle sur le Xinjiang, territoire charnière et stratégique dans ces circuits, et vaste réservoir énergétique.
La région de Xinjiang, un massif montagneux ponctuant un carrefour au milieu des routes commerciales de la soie, jalousement disputé tout au long de son histoire. Cette province qui a toujours tenu à son autonomie, est annexée au reste de la Chine, à l’arrivée de Mao en 1949. Elle est visée par une politique d’investissement intensifiée aux années 2000 dans le cadre du développement de la région du Grand-Ouest. La région est connectée au reste du pays par un réseau autoroutier et de lignes ferroviaires de grande vitesse. La région est devenue un pôle énergétique, qui génère le quart des hydrocarbures et 38 % des réserves en charbon. La chine y extrait 1/6 de la production pétrolière et ¼ du gaz naturel, acheminés à travers un réseau d’oléoducs et de gazoducs[15]. La région, au vaste territoire et à la localisation privilégiée occupe une place stratégique dans le projet des nouvelles routes de la soie, pari de la Chine pour s’ouvrir au monde, pour l’expansion de son marché et la projection de sa puissance à travers le centre de l’Asie (le tracé projeté prévoit un passage par la ville d’Urumqi[16]). Limitrophe du Pakistan, de l’Afghanistan, des républiques de l’ex. URSS, la région est un nœud dans ce système de réseaux vitaux pour le rayonnement de la puissance de la Chine jusqu’en Europe.
Derrière le génocide des Rohingyas et les conflits de religion, il y a des richesses énergétiques et des territoires de haute portée stratégique à contrôler.
Beaucoup d’auteurs renvoient le motif des massacres des musulmans de Birmanie (Myanmar), aux nombreux enjeux énergétiques. Toute cette chasse orchestrée contre la minorité musulmane de la province d’Arakan serait pour garantir le contrôle d’une région stratégique où passent des flux importants de gaz et de pétrole venus du Moyen-Orient et acheminés vers la Chine, et qui serait aussi une région figurant comme base portuaire ponctuant le parcours maritime des nouvelles routes de la soie, reliant l’Asie à l’Europe, en passant par les côtes de l’Afrique de l’est, que la Chine envisage investir[17].
En Inde, les enjeux de territoires, de limites et de diversité religieuse hérités de la décolonisation et de la partition du grand empire de l’Inde en 1947, continuent toujours à alimenter des conflits, et expliquent les principaux enjeux d’une telle escalade, s’ajoutant aux tensions déjà présentes autour du conflit du Cachemire à majorité musulmane, qui suscite des tensions entre l’Inde et ses voisins le Pakistan et la Chine.
Réactions
L’Organisation des Nations unies toujours impuissante devant la force des enjeux de la course mondiale des puissances, se contente de tirer la sonnette d’alarme et de dresser des portraits de la situation à travers les rapports qu’alimentent ses observateurs.
Les pays musulmans, les pays arabes, et dans une certaine mesure les autres pays affichent un mutisme qui les met mal à l’aise. Ils sont pris dans un dilemme : solidariser avec les minorités musulmanes ? Ou tirer profit du projet chinois d’expansion, alors qu’ils sont nombreux les pays musulmans que traversent les nouvelles routes de la soie. Par rapport à l’Inde, ils sont pris dans le même dilemme, entre solidariser avec les minorités musulmanes ou tirer profit de l’économie émergente de l’Inde ?
Les USA, principal rival et acteur de cette course mondiale, instrumentalise la question des droits des minorités religieuses, pour exercer de la pression sur la Chine et dans une moindre mesure, l’Inde afin de ralentir l’expansion, sauf dans le cas des Rohingyas.
La Chine rival américain soutient la Birmanie dans sa politique génocidaire.
Devant l’insistance du Haut-commissariat des Nations unies aux droits de l’homme, pour un droit d’accès, la Chine reconnaît l’existence de centres d’éducation patriotique et professionnelle pour favoriser l’insertion des minorités. Toutefois, les témoignages des rescapés font foi de vraies centres répressifs d’internement.
Le gouvernement turc après un moment de silence a livré un manifeste contestataire en mi-février 2019.
Dans son rapport annuel sur la situation des libertés religieuses dans le monde en 2018, le gouvernement américain réserve un blâme contre l’Inde[18], sur fond de tensions commerciales, selon lesquelles l’Inde a augmenté la tarification douanière de certains produits américains, après le retrait de certains privilèges commerciaux américains.
En 2018, l’ONU accuse la Birmanie de génocide, de crimes de guerres et de crimes contre l’humanité contre les Rohingyas. En septembre 2018, la cour pénale internationale se déclare compétente pour enquêter sur ces crimes. En septembre 2018, la Chambre des communes du Canada, vote à l’unanimité un texte, qualifiant de génocide les attaques contre les musulmans de Myanmar, et appelant le Conseil de sécurité de l’ONU de porter l’affaire devant la cour pénale internationale[19]. En novembre 2019, La Gambie dépose au nom de l’Organisation de la Coopération islamique une plainte auprès de la cour de justice internationale contre Myanmar, pour génocides et crimes contre l’humanité contre les Rohingyas[20]
Avenir en question ?
Les pays musulmans condamnés à se taire pour profiter de cette nouvelle opportunité que la Chine ouvre. Les USA secouent la question des droits des minorités, pour entraver le projet chinois et pour brouiller les relations avec le monde musulman, premier concerné de ce projet et réservoir énergétique. Les autres pays observent et se taisent pour ne pas compromettre leurs intérêts avec des économies et puissances émergentes. Entre temps des femmes, des hommes et des enfants se font massacrer et se font déporter, condamnés à vivre le calvaire des damnés de la terre pour cause de leur religion et origine. L’humanisme a rendu l’âme, depuis que le monde ait été pris en otage entre des puissances lancées dans une course contre humaine pour le contrôle de l’énergie et des territoires à visées stratégiques.
Dr Brahim Benyoucef
10/1/2020
[1] « “Eradicating ideological viruses”. China’s campaign of repression against Xinjiang’s Muslims », Human Rights Watch, New York, 9 September 2018.
[2] selon un rapport du Haut-Commissariat des Nations-unis pour les réfugiés
[3] Jules Deschênes, « Qu’est-ce qu’une minorité ? », in Les Cahiers de droit, 27 (1), 1986, 255–291.
Herman Blaise Ngameni, « Non-discrimination et droits des peuples minoritaires », Les Annales de droit
[En ligne], 11 | 2017, mis en ligne le 16 octobre 2018, consulté le 30 avril 2019.
José Woehrling, Les trois dimensions de la protection des minorités en droit constituonnel comparé, Rapport général présenté aux Journées mexicaines de l’Association Henri Capitant à Mexico et Oaxaca du 18 au 25 mai 2002.
[4] Rémi Castets, « Les Ouïgours à l’épreuve du « vivre-ensemble » chinois » in Le Monde diplomatique, mars 2019.
[5] Romain Geoffroy, « Comprendre la crise des Rohingya en Birmanie », in Le Monde, 13/9/2017.
[6] Jean-Luc Racine, « Les paramètres de la géopolitique indienne (The parameters of India’s geopolitics) », In: Bulletin de l’Association de géographes français, 74e année, 1997-2 (. pp. 156-169.
[7]« Loi sur la citoyenneté, manifestation de la minorité musulmane : que se passe-t-il ?, in RT France, 21/12/2019.
[8] Anthony Goreau-Ponceaud, « Le jour où l’Inde a fermé ses portes aux musulmans » in The Conversation, mis en ligne le 12/12/2019.
[9] « China : Gross violations of human rights in the Xinjiang Uighur autonomous region », Amnesty International, Londres, 31 mars 1999.
[10] Rémi Castets, « Les Ouïgours à l’épreuve du -vivre-ensemble- chinois » in Le Monde diplomatique, mars 2019.
[11] Gardner Bovingdon, The Uyghurs : Strangers in Their Own Land, Columbia University Press, New York, 2010.
[12] Adrian Zenz, « “Thoroughly reforming them towards a healthy heart attitude” : China’s political re-education campaign in Xinjiang », Central Asian Survey, Abingdon-on-Thames, septembre 2018.
[13] « Déclaration des Nations unies sur la situation des Rohingyas au Myanmar (Birmanie) », in Perspective monde, 6/11/2017.
[14] Le projet des nouvelles routes de la soie est l’expression de l’ambition expansionniste chinoise dévoilée en 2013 par le président chinois Xi Jinping. Elle englobe deux parcours : un circuit terrestre qui emprunte les parcours anciens des routes de la soie, et relie la Chine à l’Europe, traversant le centre de l’Asie et poursuivant à travers la Turquie ; et une ceinture maritime empruntant les anciennes routes des épices, et reliant la Chine à l’Europe, en traversant les contours maritimes du sud-est asiatique, de l’Inde, et poursuivre par l’océan indien, puis remonter à travers la corne africaine et la côte de l’Afrique de l’est, la Méditerranée, pour aboutir en Europe. Voir : Frédéric Lasserre, Éric Mottet et Barthélémy Courmont, « Les nouvelles routes de la soie », Québec, PUQ, 2019.
[15] Rémi Castets, « Les Ouïgours à l’épreuve du « vivre-ensemble » chinois » in Le Monde diplomatique, mars 2019.
[16] « Chine.“Route de la soie”, la mondialisation selon Xi Jinping » in Courrier international, 14/5/2017.
[17] « Déclaration des Nations unies sur la situation des Rohingyas au Myanmar (Birmanie) », in Perspective monde, 6/11/2017.
Guillaume Delacroix, « Rohingyas : derrière la religion, le pétrole et le gaz », in Médiapart 15/11/2017.
Cyrille Pluyette, « Crise des Rohingyas : la Birmanie se rapproche de la Chine » in Le Figaro, 30/11/2017.
[18] Catherine Chatignoux , « Les relations s’enveniment entre l’Inde et les Etats-Unis », in Les Échos, 24/6/2019.
[19] Agence France-Presse in Ottawa, « Canada accuses Myanmar of genocide against Rohingya”, 20/9/2018.
[20] Stéphanie Maupas, « La Gambie saisit la Cour internationale de justice des crimes contre les Rohingya », in Le Monde Afrique, 12/11/2019