
Il est habituel d’assister à de mutations profondes au lendemain des crises majeures qui bouleversent la vie des nations, et de voir s’installer après chaque crise, un nouvel ordre humain.
Qu’en est-il du coronavirus ?
À l’origine, des cas de pneumonie détectés sur des clients d’un marché de poisson à Wuhan en Chine, à la fin du mois de décembre 2019, ont révélé le coronavirus, un virus jamais encore diagnostiqué chez l’humain. Un virus pris au début, partout à la légère. La Chine a même exercé au début, une forte pression sur le médecin qui l’a découvert, qui d’ailleurs a fini par mourir suite à sa contamination.
La Chine a vite repris les choses au sérieux. La ville de Wuhan, son épicentre a été soumise de force à l’isolement, et a vu s’y construire en dix jours, un hôpital géant spécialement conçu pour répondre à l’urgence, inauguré le 3 février.
Ailleurs, comme en Corée du Sud, grâce aux directives rigoureuses des autorités, et à la discipline citoyenne, le problème finit par être maîtrisé. À l’inverse, en Europe, prise au début à la légère, la situation s’est vite aggravée, au point où les cas critiques dépassent les capacités de soin, surtout en Italie et en France. Partout, ce fut d’abord un déni suspicieux, suivi de choc, une fois l’éclosion devenue réelle aux yeux de tout le monde, et finit par l’acceptation, le jour où l’OMS déclara officiellement la pandémie, en date du 11 mars 2020.
C’est l’heure à l’isolement.
À compter du mois de mars, toutes les nations étaient d’accord pour s’isoler, fermer leurs frontières, se confiner derrière, et appeler leurs populations à l’isolement, pour éviter la propagation du virus. Confinement, isolement et distanciation sociale, et hygiène, deviennent les mots d’ordre qui allaient dessiner la vie des gens partout dans le monde. Partout dans le monde, le moment est à l’isolement.
La mondialisation et la force des frontières
La mondialisation se confirme et impose son ordre, une fois de plus. Le monde n’a jamais été aussi un gros village, que maintenant, soumettant en si peu de temps, toute l’humanité au même sort. La mobilité et la facilité de circulation à travers le monde n’ont jamais rapproché les nations et raccourci les distances, comme maintenant. Il suffit, pour prendre conscience de ce fait, de voir comment et à quelle vitesse le virus s’est propagé.
Mais les frontières résistent toujours. Au moment du confinement, lorsque l’homme veut se protéger et s’épargner le danger, c’est chez lui qu’il s’isole, et vers le dedans qu’il se replie. Le dedans ne peut se démarquer du dehors, si ce ne sont les limites et frontières, qui lui assurent autonomie et protection. Dans ce contexte de repli et de protection, les frontières se sont avérées, une fois de plus, d’une grande utilité, défiant la loi de la mondialisation.
Que peut-il changer pour les gens ?
Des points de vue de l’urbanisme et de la sociologie, certains phénomènes qui en découlent vont bouleverser tous les paradigmes. Les rapports, espace privé/public, espace individuel/espace collectif, offrent un angle intéressant pour observer et analyser ces mutations et leurs conséquences.
C’est l’implosion après l’explosion. D’un coup, tous regagnent les intérieurs, après avoir vécu au rythme de l’explosion à l’extérieur (diffusion, éclatement, etc.) À l’échelle mondiale, tous regagnent leurs pays respectifs, et les derniers durent vivre des jours de calvaire entre les aéroports. À l’échelle des villes, tous regagnent leurs propres maisons. Le repli vers les intérieurs, les dedans (pays, maisons, etc.), devient l’ordre ultime, la solution pour s’épargner la mort, et pour se protéger des dangers du virus. L’intérieur, le dedans, (pays et maisons, etc.), devient l’abri, l’espace sécurisé et sécurisant, à l’opposé de l’espace public, du dehors, menaçant et source de danger.
Or, c’est l’inverse qui est de coutume habituellement dans les villes et sociétés modernes. Le monde quitte le dedans, réservé à l’intimité, pour s’éclater et vivre dehors. D’ailleurs, les gens passent 12 h de la quotidienneté active à l’extérieur (travail, études, loisirs, déplacement, etc.), contre 4 seulement de transition, à la maison, réservée juste pour dormir. Les dimensions des espaces sont d’ailleurs conçues en conséquence. De minuscules maisons, contre des espaces publics géants (centres de loisirs, centres commerciaux, espaces de travail, écoles, etc.). D’un jour à l’autre, la situation se retourne : confinement dans les maisons et fuite des espaces publics. Désormais, tout doit se faire à distance : communication, socialisation, achat, travail, etc.
La distanciation sociale menace la socialisation de proximité. On se demande d’ailleurs si elle ne va pas mettre fin à la société de personnes, pour laisser place à la société virtuelle.
Toute la vie sociale et toutes les activités sociales s’efforcent de s’adapter à ce rythme, et se conformer à l’ordre virtuel : télétravail, commerce en ligne, services en lignes, etc. Même le contrôle des biens et des personnes se font virtuellement. Caméras, télé-positionnement, géolocalisation, l’identification digitale, etc., permettent dorénavant de contrôler le mouvement des personnes là où ils sont. La chine devance, en parvenant à contrôler même à distance, la santé des gens, (prélèvement à distance de la température des gens, détection à distance des porteurs de virus, etc.)
L’ordre virtuel s’impose à jamais à l’humain.
Tous les caractères de ces changements convergent vers ce constat. Cependant, il n’en demeure pas moins, que le besoin de convivialité et de socialisation de proximité, le sens social de l’existence humaine vont soutenir la résistance de l’humain. On se pose d’ailleurs la question de savoir, dans quelle mesure, l’humain peut se passer de la collectivité, au moment de célébrer ses fêtes et rituels, de célébrer la vie et la mort, et de célébrer sa religion, etc. ? Dans quelle mesure, peut-il résister à l’attraction des lieux et des foules, pour satisfaire ses besoins de socialiser et de découvrir ?
Le sens social des humains, la religion, la convivialité, la socialisation, le goût du tourisme et du voyage, etc., seront toujours là pour résister. Il faut également admettre, qu’une part importante du lien social dans sa dimension naturelle et humaine est perdue à jamais, depuis que l’ère du numérique, s’est installée. Là, avec cette crise, l’appel à la distanciation, n’ajoute qu’une distance de plus, qui vient éloigner encore une fois l’humain de la terre et de sa nature.
Distance, contre proximité ; virtualité, contre réalité ; privé, contre public, et tout suit cet ordre. Même là, que reste-t-il de privé et d’intime dans la vie des gens, sachant que l’Homme, même chez lui, n’échappe pas aux regards des caméras et de son propre et fidèle espion (son téléphone) ? Même les lois ne servent plus pour protéger la vie privée des gens, car sous la pression de la dépendance aux téléphones et dérivés numériques, on n’hésite plus à autoriser les autres, à accéder à nos informations.
L’espace de l’habitation, va-t-il reprendre son volume, autant que sa place ? L’espace public, va-t-il perdre son ordre et sa place ?
C’est tout l’espace de l’Homme qui est à revoir, si l’ordre de la société et ses paradigmes changent.
Dr Brahim Benyoucef
26/3/2020