Avertissement

L’intervention est davantage une invitation à la réflexion et au débat. Elle pose plus de questions, qu’elle n’en donne de réponses.

1.     Introduction

À chaque crise, l’humain s’adapte pour apporter des solutions, puisant dans son répertoire d’expériences, et usant de son génie, pour surmonter les effets de la crise et contourner ses risques. La crise offre une occasion de plus, pour renforcer la protection des espaces et des sociétés, avec des solutions réinventées, que l’homme improvise. Souvent, ces solutions s’installent définitivement, en totalité ou en partie, et amorcent des mutations profondes des modes de vie et de gouvernance. La résilience dépend des facteurs de protection. Plus, l’immunité des espaces et des sociétés, est renforcée, plus leur résilience augmente.

2.     Comment réagit l’humain ?

L’humain, réagit habituellement face à la crise par trois modes successifs : le choc, au début de la crise, puis le déni, et finit par l’acceptation. À l’étape de l’acceptation, il amorce le processus d’adaptation, avec l’initiation souvent improvisée, de nouvelles pratiques, qui se perfectionnent au fil des jours, pour s’installer définitivement, en totalité ou en partie, et finissent par modifier le cours et le mode de vie.

La crise révèle à la fois la vulnérabilité de l’humain, mais aussi sa force.

3.     En quoi, le patrimoine peut-il être d’un quelconque secours ?

À chaque crise, l’humain s’adapte pour apporter des solutions, puisant dans son répertoire d’expériences, et usant de son génie, pour surmonter les effets de la crise et contourner ses risques. Dans cette perspective, la mémoire collective est le registre consulté en priorité, et la référence de fond pour bâtir de nouvelles expériences et innover.

La réinvention de l’humanité à travers le patrimoine

En fin de compte, en pleine crise, l’humain renoue avec son humanité. Il ne fait que réinventer des pratiques anciennes dans de nouvelles formes : les gouverneurs dans leurs stratégies de communication et points de presse, reprennent le rôle du crieur du village –berrah-.

-Rentrez chez vous- revient en force comme l’ultime solution pour se protéger, et l’humain ne fait que répéter ce qu’une fourmi recommandait aux autres, pour s’épargner les dangers : « rentrez chez vous, pour éviter de vous faire écraser ».

Pour tous et partout, la solution passe par le comportement humain. L’humain cherche les voies de protection, dans la réinvention du sens humain des choses, et cela passe par le patrimoine.

4.     Mais, d’abord qu’est ce qui a changé ?

La crise et ses effets révèlent que tout est réversible. Le repli dans le temps et dans l’espace  que vit l’humanité en ce moment de crise viennent le confirmer.

En effet, pour combattre la propagation, la solution majeure qui fait l’unanimité, s’articule autour de la distanciation sociale, de l’isolement et du repli (confinement), de la règle d’hygiène, et du contrôle sanitaire, même à distance.

5.     Les principaux enjeux, à l’ère de Covid-19

Ni l’urbanisation et ni la mondialisation, portés pour des ultimes irréversibles, ne résistent à la Covid-19. Retour au confinement, au repli à l’intérieur, à l’autonomie familiale, à l’économie domestique, à la distanciation, etc.

C’est l’implosion après l’explosion. D’un coup, tous regagnent les intérieurs, après avoir vécu au rythme de l’explosion à l’extérieur (diffusion, éclatement, etc.) À l’échelle mondiale, tous regagnent leurs pays respectifs, et les derniers durent vivre des jours de calvaire entre les aéroports. À l’échelle des villes, tous regagnent leurs propres maisons. Le repli vers les intérieurs, les dedans (pays, maisons, etc.), devient l’ordre ultime, la solution pour s’épargner la mort, et pour se protéger des dangers du virus. L’intérieur, le dedans, (pays et maisons, etc.), devient l’abri, l’espace sécurisé et sécurisant, à l’opposé de l’espace public, du dehors, menaçant et source de danger. Les frontières et les limites reviennent en force, après avoir été longtemps boudés par la mondialisation.

Les frontières longtemps mises à mort, à l’ère de la mondialisation, surtout en matière de circulation des biens, reviennent en force. Le repli vers les intérieurs (pays, villes, et habitations, etc., selon l’échelle), comme moyen préventif, fait valoir plus que jamais le rôle des limites et des frontières, dans la protection des espaces et des sociétés.

Or, c’est l’inverse qui est coutume dans les villes et sociétés modernes. Le monde quitte le dedans, réservé à l’intimité, pour s’éclater et vivre dehors. D’ailleurs, les gens passent 12 h de la quotidienneté active à l’extérieur (travail, études, loisirs, déplacement, etc.), contre 4 seulement de transition, à la maison, réservée juste pour dormir. Les dimensions des espaces sont d’ailleurs conçues en conséquence. De minuscules maisons, contre des espaces publics géants (centres de loisirs, centres commerciaux, espaces de travail, écoles, etc.). D’un jour à l’autre, la situation se retourne : confinement dans les maisons et fuite des espaces publics. Désormais, tout doit se faire à distance : communication, socialisation, achat, travail, etc.

l’humain doit alors s’adapter, et réfléchir au présent : comment vivre confiné dans des espaces réduits, minuscules, qui n’ont rien à avoir avec les habitations traditionnellement vastes et aérées ? Comment gérer les relations et la division du travail au sein de la famille en confinement ? Comment réorganiser la vie commune au sein de la famille ? Comment travailler virtuellement à la maison, etc. ? Comment assurer l’éducation des enfants, en remplacement de l’école, de la garderie, etc. ? Et, comment réinventer de nouveaux loisirs adaptés au confinement, etc. ?

Jamais l’intelligence humaine n’a été aussi sollicitée, pour trouver des réponses appropriées aux nombreuses questions problématiques : comment vivre en confinement, comment s’organiser, organiser les rôles et relations, occuper les enfants, et travailler à distance, se divertir, et combattre la monotonie, les conflits de couple et de ménage, et supporter les enfants en confinement, etc. ?

Sur le plan spatial, on passe des fortes densités et de la concentration, à la dispersion.

Comment réorganiser les distances, revoir le mobilier des parcs, la disposition des sièges dans les transports publics, dans les lieux publics : restaurants, magasins, etc. ? Comment revoir la démarche dans les lieux publics ?

De l’ordre de proximité et de la concentration, à l’ordre de la distanciation, il y a tout un renversement de situation.

L’humain se trouve confronté à des défis, et appelé à répondre à de nouvelles exigences : comment se protéger et protéger le service, dans les lieux publics ? Plexiglas, pour séparer entre les caisses et les clients ; gel, savon et lavabo à l’entrée des magasins ; gestion des files à l’entrée des magasins ; fixation d’un ratio acceptable, surface/client, pour indiquer le nombre de clients à admettre à la fois à l’intérieur du magasin, pour respecter les normes de 2 mètres de distanciation ; suggestion de pas distancés de 2 mètres au sol pour diriger les clients, etc.

Comment réorganiser les distances, revoir le mobilier des parcs, la disposition des sièges dans les transports publics, dans les lieux publics : restaurants, magasins, etc. ? Comment revoir la démarche dans les lieux publics ?

En matière de gouvernance, les gouvernements du monde sont confrontés à improviser rapidement et sur le tas, de nouvelles façons pour gérer la crise et combattre la propagation du virus. Le plus grand défi, demeure, celui d’aplatir ou d’aplanir la courbe de progression, pour étaler dans le temps la progression, et éviter au système de santé, d’être débordé, si les besoins en soins dépassent les capacités des hôpitaux. L’activation d’une cellule de crise ; la communication des gouverneurs en direct, sur une base régulière ; le suivi en temps réel de la progression ; et la souplesse de prise de décisions, au rythme des évènements ; les mesures spéciales et la règlementation en temps réel ; l’encadrement légal ; l’organisation sécuritaire ; la gestion des foules, des magasins et de l’activité publique ; l’application et la gestion de la quarantaine à l’échelle des villes et régions ; le soutien économique des revenus de personnes et de ménages ; la gestion rigoureuse du secteur de la santé et son approvisionnement ; la régulation de l’activité et la gestion des équilibres entre services essentiels et possibilités d télétravail ; l’implication des sociétés privées dans la fabrication de matériel de protection, etc., sont toutes des actions qui alimentent ce répertoire de nouvelles pratiques, qui, certainement s’installeront, en partie ou en totalité, pour modifier le cours des choses, et les modes de gouvernance.

En politique, aussi, la mondialisation tellement vantée, perd ses premières plumes, lorsqu’elle perd son éthique, à la première épreuve. L’absence de solidarité entre les pays, parfois du même espace, (l’Union européenne par exemple, etc.) ; le détournement des cargaisons de matériel de protection, devenu opération courante ; l’admission sélective aux soins, sur base de l’âge, sacrifiant les plus âgés, etc., sont là, pour témoigner du dérapage éthique.

L’épreuve du confinement se révèle une opportunité d’apprentissage, qui finit par mieux outiller l’humain et renforcer sa capacité de résilience, et surtout augmenter son autonomie.

L’épreuve du confinement offre une occasion pour penser, innover, retrouver la chaleur familiale, communiquer, organiser des activités, encourager la créativité chez les enfants, jouer, lire, dessiner, jardiner, cuisiner, méditer, se motiver mutuellement, et s’amuser ensemble.

Jamais, la solidarité n’a été aussi sollicitée, qu’en pareils moments. S’entraider avec des outils et moyens d’apaisement, pour contourner le stress, et pour dépasser les conflits. Offrir un support psychologique aux familles, pour lutter contre les effets de l’épuisement, surtout sous la pression de la crise. Soutenir les personnes et les familles dans le besoin. Soutenir les personnes dans la solitude. Aider les personnes en perte d’autonomie. La solidarité peut commencer par l’activation d’un fonds de solidarité, et la mise en œuvre des bonnes pratiques d’entraide que les familles et les communautés, ont déjà développées.

La phase d’adaptation suscite beaucoup de stress, de conflits, et surtout beaucoup d’incidences, aussi bien psychologiques, que sociales et économiques.

6.     Mais, qu’est ce qui va changer ?

L’ordre de la distanciation sociale va marquer l’humanité à jamais. La tendance à la virtualisation de la vie sociale et économique, déjà amorcée, va davantage s’accélérer et se généraliser, sous l’effet de cette crise. La question clé va s’articuler, autour de : comment s’organiser dans le futur ?

En urbanisme, la tendance à la virtualisation des modes de travail, de magasinage, de la formation, de la consultation médicale, et de bien d’autres activités, va décharger partiellement les centres-villes qui vont respirer, et va réduire les densités. L’humain aurait tendance à vivre plus de temps à l’intérieur de son habitation, pour y habiter, y travailler, etc. Il aurait besoin dans le futur d’un habitat plus confortable et de beaucoup de nature accessible, pour marquer des pauses santé. Les routes dans le futur seraient déchargées au profit des livreurs et des services essentiels. Les centres des villes seraient dédiés à l’avenir essentiellement aux loisirs et à la fonction récréative et aux services supérieurs. Les centres se déchargeraient des tours bureaux, au profit du travail à distance, alors que beaucoup de services, dont gouvernementaux se font déjà en ligne. Avec le magasinage à distance, les entrepôts vont se substituer aux centres physiques, et occuperaient une place importante dans les zones d’activité avec la production manufacturière. L’étalement, longtemps combattu, en faveur des densités, beaucoup plus rentables, pourrait revenir comme option enviable. Le télétravail pourrait minimiser les coûts des déplacements, et aplatir ou aplanir les courbes de congestion. Dire, que jamais l’humain n’a eu besoin d’un urbanisme diffus et discontinu, avec de faibles densités, que maintenant. Les cités-jardins, les cités du Mzab, l’urbanisme oasien, etc., sont tous des modèles, qui, plus que jamais, prouvent leur ingéniosité. Ils réussissent parfaitement les équilibres, nature et culture, et pourraient servir de modèle d’inspiration à de solutions nouvelles. Il ne s’agit nullement d’une reproduction du modèle du passé, autant qu’il s’agisse d’un ressourcement, en vue d’apporter de nouvelles solutions, pensées en harmonie avec la culture d’une société.

En architecture et urbanisme, l’urbanisme moderne sous son volet hygiénique est toujours d’actualité et d’avant-garde, en ce qui a trait aux normes et règles d’hygiène, (largeurs des voies, exposition, rapport bâti/espace libre, nature et construction, etc.), toutefois, le logement de masse, largement généralisé, fait défaut en ces temps de pandémie, non seulement par rapport à sa densité et concentration, mais à son étroitesse et conception, qui ne peut assurer le confort psychique, exigé au moment du confinement. Le retour au modèle de l’habitation traditionnelle, dans une version moderne, assurant des réponses au besoin de confort, de lumière et d’aération, peut-il en être envisagé ?

Les besoins de sociabilité et de convivialité seront toujours là pour résister. L’humain aura toujours besoin de célébrer en collectivité, la vie, la mort, la joie et le chagrin. Il va falloir juste repenser les choses de façon à concilier entre les besoins de vivre-ensemble en société et les exigences d’hygiène et de sécurité.

Revoir l’espace habitation, versus collectif ? Revoir l’organisation des sociétés et des espaces, s’imposent dans le futur, comme les plus grands défis à relever.

7.     Le patrimoine dans toutes ses formes

Le phénomène de virtualisation de la vie sociale et économique est certes l’aspect le plus palpable de la tendance. Les cours des choses vont changer, ne serait-ce qu’au niveau des formes. L’organisation des espaces et des sociétés à revoir. Dans tous les domaines, on est confronté à des changements de paradigme : société, famille, liens, sociabilité, confinement, distanciation, étalement vs densification, gestion et gouvernance, vie sociale, organisation des espaces, etc. 

Interroger le patrimoine s’avère le geste le plus humain et le lus naturel à poser, car l’intelligence de l’homme ne peut fonctionner sans sa mémoire. C’est en se retournant vers sa mémoire, que l’homme trouve des solutions ou des références pour en bâtir de nouvelles. Il faut cependant partir d’une définition plus large du patrimoine, comme étant synonyme de mémoire, se manifestant dans des formes matérielles et immatérielles, et englobant l’ensemble des réalisations, expériences, créativités et inventions, d’une nation ou d’une société, qui finissent, à force de résonner, par s’installer dans la conscience collective, en tant patrimoine commun.

C’est dans ce sens, qu’il faut considérer le patrimoine comme facteur essentiel de résilience, en plus d’être un facteur de développement. Une société, à patrimoine fort, riche et présent, a beaucoup plus de capacité de résistance et de résilience dans des contextes de crise.

Conclusion

Mais, il faut entretenir le patrimoine en vie, et entretenir sa présence dans la mémoire, l’esprit, et la vie et éviter qu’il passe à l’oubli, ou qu’il subisse des ruptures de mémoire. C’est ça la leçon que cette crise vient nous rappeler.

Dr Brahim Benyoucef

Montréal, le 22 avril 2020

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