
Résumé
Dans le contexte de la mondialisation et de la révolution informatique, la mobilité accélérée pour ne pas dire libre, de personnes, de biens, de services et de l’information, nous interpelle à plus d’un endroit.
En matière d’immigration, on distingue deux types de mouvements, l’immigration clandestine et l’immigration formelle ou légale. Le premier type concerne le passage illégal de personnes de certains pays vers d’autres. Le 2ᵉ type consiste à des mouvements volontaires de personnes dans le cadre des politiques d’immigration que certains pays initient, dans le but de combler leur déficit démographique, face au vieillissement de leur population ; il s’agit ces deux dernières décennies, surtout des pays d’Amérique du Nord (les USA et le Canada) et dans une proportion moindre, de l’Australie et de la Nouvelle-Zélande.
Ceci contribue à la mutation du paysage culturel et de la configuration démographique dans ces pays d’accueil.
Si la gestion de la diversité et des processus d’intégration s’imposent aux pouvoirs publics comme enjeux de taille, c’est comment s’installer, s’adapter et évoluer dans les nouveaux milieux, qui sont les principaux enjeux et défis, auxquels sont confrontés les nouveaux venus.
En effet, les modalités d’installation et d’adaptation ; les modalités d’intégration ; les problématiques de l’emploi, de la famille, de la petite enfance, de la jeunesse ; la part de l’identité et les effets de croisement de cultures, etc., sont les défis auxquels les immigrants sont confrontés au quotidien.
Le présent essai propose à travers le cas de la communauté maghrébine établie au Canada, un regard sur les phénomènes de mobilité et de mutations sociales.
Genèse et profils
1.1 À quel rythme ont-ils afflué ?
La communauté maghrébine établie au Canada est récemment installée. En attendant la publication des résultats du recensement de 2016, son nombre est estimé actuellement à plus de 200 000 personnes, dont 90 000 Marocains, 70 000 Algériens et 19 000 Tunisiens[1]. Son établissement dans ce pays lointain a commencé d’une façon très timide dès la fin de la 2ᵉ guerre mondiale. De quelques centaines de personnes, son nombre devait connaître une croissance exponentielle. Si on comptait avant 1991, 14 460 Marocains et 3 915 Algériens, ces chiffres allaient vite grimper dès 2006 à respectivement 39 055 et 32 255 personnes, à quoi s’ajoutent quelque 10 000 Tunisiens, soit un total de 81 310 ; ce qui élève leur proportion à plus de 1,3 % de la population canadienne, issue de l’immigration (née à l’étranger) évaluée en 2006 à 6 186 950 personnes[2].
Au Québec, la province qui attire la majeure partie des Maghrébins, 42,7 % ont immigré entre 2006 et 2011, contre 29,1 % entre 2001 et 2005 et, 12,3 % entre 1996 et 2000[3].
Plusieurs raisons viennent expliquer cette croissance, dont : la politique d’accueil que la Canada a adoptée pour parer à son déficit démographique ; la situation sécuritaire en Algérie fragilisée dès les années 90 et, la volonté de certaines familles maghrébines de profiter d’une ouverture pour explorer de nouvelles opportunités, d’autant plus que le Canada affiche une attitude d’ouverture et d’accueil très différente de l’hostilité de certains pays d’Europe, dont la France.
Étant donné son profil linguistique francophone, la grande partie de la communauté maghrébine s’établit au Québec. Au recensement de 2006, le Québec comptait plus de 90 % du total des Maghrébins installés au Canada. En effet des quelque 81 310 que comptent Marocains, Algériens et Tunisiens du Canada en 2006, 80 330 se sont déclarés d’origine maghrébine au recensement de 2006 au Québec, relativement à une population totale évaluée au Québec, à 7 546 131 personnes, en 2006.
Au recensement de 2011, ils sont 134 900 personnes à déclarer être d’origine maghrébine au Québec. Ils composent 1,68 % de la population totale du Québec, qui s’élevait au recensement de 2011 à 8 007 656 personnes.
Au Québec, et au recensement de 2011, ils sont 59 480 à déclarer être d’origine marocaine et 44 560 d’origine algérienne et 12 680 d’origine tunisienne[4].
Compte tenu du profil francophone, la communauté maghrébine a bénéficié ces dernières années de quotas considérables, pour se placer aux premiers rangs des nouveaux immigrants reçus au Québec. De l’ensemble des immigrants admis au Québec entre 2007 à 2011, soit 245 606 personnes au total, la part des immigrants originaires de l’Afrique du Nord s’élève à 21,4 %, correspondant à 52 532 personnes[5].
1.2 Qui sont les Maghrébins du Québec ? Portrait d’une communauté
Au recensement de 2011, la population d’origine maghrébine au Québec s’élevait à 134 900 personnes et présentait le profil suivant :
C’est une communauté d’installation récente au Québec et au Canada en général. La population native s’élevait au recensement de 2011 à 30,4 %, contre une population née à l’étranger, évaluée à 69,6 % du total. 42,7 % ont immigré entre 2006 et 2011, contre 29,1 % entre 2001-2005 et 22,6 % entre 1996 et 2000[6].
- La communauté compte légèrement plus d’hommes que de femmes, soit 52,9 % d’hommes contre 47,1 % de femmes.
- C’est une communauté jeune, 43,8 % des immigrants d’origine maghrébine ont moins de 25 ans (comparativement à 28,9 % moyenne du Québec), et 50,6 % sont âgées de 25 à 54 ans, comparativement à 42,5 %, moyenne du Québec. Seulement 5,6 % ont plus de 55 ans et plus, comparativement à la moyenne du Québec de 28,5 %.
- Au recensement de 2011, 96,2 % parlent le français, un peu moins de la moitié 44,5 % parlent les deux langues, français et anglais, et 51,8 % connaissent le français uniquement.
- 57,1 % de la communauté maghrébine ont une langue maternelle autre que le français et l’anglais.
- Les immigrants d’origine maghrébine sont très scolarisés. Un peu moins de la moitié (41,4 %) des personnes de la communauté, âgées de 15 ans et plus, détiennent un grade universitaire ; cette part relative est significativement plus élevée que celle de l’ensemble de la population québécoise (18,6 %). Plus de la moitié soit 51,6 % détiennent un certificat, un diplôme ou un grade universitaire, contre une moyenne de 23,3 % pour l’ensemble du Québec.
- Le taux de chômage que la communauté subit est presque trois fois, supérieur à celui de l’ensemble de la population du Québec (17,1 % contre 7,2 % pour l’ensemble du Québec).
- Les domaines d’activités les plus dominants sont respectivement : la vente et les services (22,8 %), l’enseignement, droit et les services sociaux, communautaires et gouvernementaux, (18,1 %), les affaires, la finance et l’administration (14,6 %), et les sciences naturelles et appliquées (13,4 %).
- Le revenu moyen (20 281 $) et le revenu médian (29 932 $) des membres de la communauté maghrébine, sont inférieurs à ceux de l’ensemble de la population du Québec (respectivement de 36 352 $ et 28 099 $).
- Concernant le statut matrimonial, en 2011 presque les deux tiers soit 62,7 % des immigrants d’origine maghrébine, âgés de 15 ans et plus, sont légalement mariés et non séparés (comparativement à 36 %, pour le Québec), 26,7 % sont célibataires (comparativement à 29 %, pour le Québec) et seulement 4,2 % sont divorcés[7].
1.3 Où résident-ils ?
Au recensement de 2011, la grande majorité soit 90,1 % des membres de la communauté maghrébine au Québec habitent dans la région métropolitaine de recensement de Montréal, alors que Québec, la 2ᵉ région en importance en compte 3,4 %. Ils sont répartis comme suit :
- 67,2 % des personnes d’origine maghrébine sont installées dans la région administrative de Montréal.
- 10,7 % de cette population, sont installés dans la région administrative de Laval (rive nord).
- 9,8 % de cette population, sont installés dans la région administrative de la Montérégie (rive sud).
Dans l’agglomération de Montréal, 92,7 % de la population d’origine maghrébine réside dans la ville de Montréal. La grande partie se concentre principalement dans les arrondissements de : Saint-Léonard (12,4 %), Ahuntsic-Cartierville (12,2 %), Côte des Neiges-Notre-Dame de-Grâce (11,6 %), Villeray–Saint-Michel–Parc-Extension (11,1 %), et Saint-Laurent (8,9 %)[8].
1.4 Le poids relatif ?
80,1 % des Maghrébins installés au Québec se sont déclarés en 2011 musulmans, contre 6,8 % de religion juive et 9,7 % sans appartenance religieuse. Les Maghrébins du Québec déclarés de confession musulmane au recensement de 2011, s’élèvent au nombre de 108 054,9 et composent 44,38 % des musulmans du Québec, s’élevant au total, à 243 430 personnes[9].

Professeur et expert consultant en urbanisme et en sciences sociales, l’auteur Brahim Benyoucef détient un doctorat en urbanisme et aménagement (Université de la Sorbonne Paris IV), et il est diplômé en sciences sociales et civilisations orientales (Université de la Sorbonne Nouvelle Paris III). Il possède à son actif plus de 30 ans d’expérience dans les domaines de l’enseignement universitaire, recherche scientifique et expertise internationale.
Le 27 juillet 2017
[1] Estimation calculée sur la base d’un taux cumulé annuel d’accroissement de 6 % considérant la part de l’accroissement naturel et celle du flux migratoire. La population maghrébine englobe entre autres et dans une proportion moindre les ressortissants de la Libye et de la Maurétanie.
[2] Source : Statistique Canada, Recensement de la population 2006.
[3] Gouvernement du Québec, portrait statistique de la population d’origine ethnique maghrébine, portraits statistiques réalisés d’après : Statistique Canada, Enquête nationale auprès des ménages (ENM) de 2011, Direction de la recherche et de l’analyse prospective du Ministère de l’Immigration, de la Diversité et de l’Inclusion, Québec, 2014. Disponible en ligne au : http://www.quebecinterculturel.gouv.qc.ca/fr/diversite-ethnoculturelle/stats-groupes-ethno/enm-2011.html, mis à jour 4/3/2016 et consulté le 27/7/2017.
[4] Gouvernement du Québec, portraits statistiques des groupes ethnoculturels, portraits statistiques réalisés d’après : Statistique Canada, Enquête nationale auprès des ménages (ENM) de 2011, Direction de la recherche et de l’analyse prospective du ministère de l’Immigration, de la Diversité et de l’Inclusion, Québec, 2014. Disponible en ligne au : http://www.quebecinterculturel.gouv.qc.ca/fr/diversite-ethnoculturelle/stats-groupes-ethno/enm-2011.html, mis à jour 4/3/2016 et consulté le 27/7/2017.
[5] Gouvernement du Québec, portraits statistiques, l’immigration permanente au Québec selon les catégories et quelques composantes 2007-2011, ministère de l’Immigration et des Communautés culturelles, Direction de la recherche et de l’analyse prospective, Québec, 2012.
[6] Gouvernement du Québec, portrait statistique de la population d’origine ethnique maghrébine, o.p. cit., p 3.
[7] Ibid., p. 5-8.
[8] Ibid., p. 9-10.
[9] Ibid., pp. 4
D’autres références bibliographiques :
BELKAID, Akram. « Un rêve d’Amérique qui se heurte à la recherche d’emploi : Désenchantement des Maghrébins au Québec ». in Le Monde Diplomatique, mars 2017, [En ligne]. [consulté le 21-1-2018], disponible au : https://www.monde-diplomatique.fr/2017/03/BELKAID/57273
BRABANT, Annick. L’immigration maghrébine à Montréal, Montréal, 2 juin 2017. [En ligne]. [consulté le 21-1-2018], disponible au : https://ville.montreal.qc.ca/memoiresdesmontrealais/limmigration-maghrebine-montreal
FARHI, Salah. « Immigration maghrébine au Québec : quelle intégration ? ». Migrations Sociétés, 2013/2 (N° 146), Montréal, pp 29-48. [En ligne]. [consulté le 21-1-2018], disponible au : https://www.cairn.info/revue-migrations-societe-2013-2-page-29.htm
MANAÏ, Bochra. La Mise en scène de l’ethnicité maghrébine à Montréal, Thèse présentée pour obtenir le grade de doctorat, Montréal, UQAM, septembre 2015, 266 . [En ligne]. [consulté le 21-1-2018], disponible au : http://espace.inrs.ca/3313/1/Manai-B-D-Septembre2015.pdf